Revenons-en à Jihad, ce roman qui nous a tous laissés pantois. L'avenir impressionnant que vous décrivez nous fait froid dans le dos, peut-être d'autant plus que c'est un avenir presque palpable, extrêmement cohérent et très proche de notre propre quotidien. Ce roman est-il pour vous un aboutissement ?
C'est le livre sur lequel j'ai le plus travaillé. Je l'ai porté en moi pendant trois, quatre ans. De travail effectif, j'y ai passé approximativement deux ans : un an pour la documentation, un an d'écriture, mais je l'ai laissé mûrir dans ma tête pendant deux bonnes années. J'ai attendu de me sentir fin prêt pour passer à l'acte, d'avoir assez de courage et d'expérience littéraire, de maîtrise ou de force littéraire pour arriver à le faire. J'avais signé le contrat pour ce livre en fin 94. Il est sorti en 1998, quatre ans plus tard. Chez Denoël, ils ont attendu, ils se sont montrés fort patients.
Dans ce livre, vous vous attaquez ouvertement au racisme, à l'ultralibéralisme et aux extrémismes politiques et religieux. Cette prise de position est toute à votre honneur. Dans la mesure où il est d'une actualité brûlante (percée de l'extrême droite en France et développements récents de l'actualité algérienne), de quelle manière le public a-t-il perçu ce roman ? Tout le monde a-t-il bien compris votre propos ? N'avez-vous pas reçu les réactions des lecteurs que votre livre aurait pu choquer ?
Je n'ai reçu que de bonnes réactions. Certains l'ont vu complètement noir et désespéré. D'autres y ont vu plutôt une touche d'espoir vers la fin. Les réactions sont diverses. Je m'attendais tout de même à quelques réactions négatives. Je m'attendais, lorsque le livre est sorti, à être mis à l'index par le Front National ou par les intégristes islamiques. Jihad n'a pas eu assez de retentissement pour qu'on en arrive là…
Si on en tirait un film, la situation serait vraisemblablement tout autre…
Vraisemblablement… De toute façon, on ne doit pas trouver Jihad sur les rayonnages des bibliothèques des villes gagnées au Front National. Alors ?…
Nous parlions tout à l'heure du contrat signé pour Jihad. D'une manière plus générale, qu'en est-il exactement de celui qui lie un auteur avec un éditeur ? S'engage-t-on, par exemple, à livrer un livre quel qu'il soit ou bien alors s'engage-t-on sur un thème défini ?
Tout dépend des éditeurs, du degré de relation et du degré de confiance que l'auteur a avec l'éditeur. En ce qui me concerne, quand je dis au Fleuve Noir : « Je fais un livre », la directrice de collection me répond : « Je t'envoie un contrat ». Tout se passe très simplement et très facilement. Chez Nathan, ils veulent avoir le manuscrit avant de signer le contrat. Chez d'autres, comme chez Denoël par exemple, on va signer un contrat sur synopsis. Parfois c'est l'éditeur qui sollicite un bouquin, et les contrats se font également sur synopsis.
Pour vous, qu'est-ce qui fait la qualité d'un bon éditeur ?
Ce n'est sûrement pas celui qui publie votre livre sans s'être donné la peine de le lire ! C'est quelqu'un avec qui je travaille vraiment. Le directeur de la collection Vertige/Science-Fiction chez Hachette Jeunesse est assurément du nombre de ceux qui vous font sans cesse travailler et retravailler votre texte.
Certains auteurs regrettent que les éditeurs acceptent ou refusent les manuscrits sans plus les critiquer, sans plus demander un travail de réécriture. Qu'en est-il pour vous ?
Moi-même, je le déplore aussi. Je suis content de trouver encore quelques éditeurs qui lisent mes manuscrits un crayon à la main et qui me demandent de revoir, de trouver à améliorer, de remanier, qui voient les défauts. J'accepte d'autant mieux les critiques que je pense que mon manuscrit n'est pas gravé dans le bronze et que tant que le livre n'est pas publié, il est toujours susceptible d'être amélioré. Je considère qu'après avoir écrit, lu, relu, corrigé, puis expédié mon travail, je n'ai pas le recul nécessaire pour voir les fautes et les défauts qui peuvent encore exister. Je suis trop impliqué dedans. Un lecteur extérieur peut mettre le doigt sur des erreurs grossières qui m'auront échappé, tant dans le fond que dans la forme. Il m'arrive alors de passer des après-midi entières à corriger mon manuscrit à partir des annotations que l'éditeur a jugé bon d'y apporter.
Est-ce qu'il peut y avoir désaccord entre les deux partis ? Dans ce cas, comment cela se passe-t-il, surtout si l'éditeur vous demande fermement une modification que vous trouvez complètement inepte ?
Cela se produit parfois, bien sûr ! Si nos avis divergent, il nous faut négocier. Si nous sommes en désaccord, c'est que l'éditeur n'a pas compris mon propos : c'est donc que je me suis mal expliqué, une correction s'impose effectivement, mais peut-être pas celle qu'il prévoit. En général, je trouve une troisième voie que l'éditeur accepte finalement. Ce n'est quand même pas lui qui écrit le livre. En dernier ressort, c'est tout de même moi qui ai le dernier mot !
Que se passe-t-il dans le cas où un contrat ayant été signé entre vous et l'éditeur, vous n'arrivez pas à aller au-delà du synopsis pour produire le livre ?
Ça a justement été le cas pour Jihad. J'ai été bloqué pendant trois ans. Un jour ou l'autre, il faut honorer ses engagements. Sinon, il faut rompre le contrat et rembourser les sommes qui m'ont été versées. A la signature du contrat, l'éditeur s'engage à publier le livre que je m'engage à écrire. Finalement j'aime bien qu'on me contraigne un peu. J'apprécie qu'on me dise : « Tu remets ton manuscrit dans trois mois, jour pour jour, parce qu'il sort dans quatre mois. » Je suis ravi car je suis naturellement fainéant et je suis obligé de me mettre au travail.
À quel moment écrivez-vous ?
Je suis assez régulier. Je travaille généralement l'après-midi, parfois je poursuis le soir. Rarement la nuit. Le matin, je relis ce que j'ai fait la veille, je prépare mon chapitre, je cogite, je réfléchis. Mais c'est l'après-midi que je suis le plus productif.
Comment vous vient l'inspiration d'une histoire ?
Au départ, c'est une toute petite idée qui peut naître d'une rencontre, d'une discussion. L'idée de La Mort peut danser est venue d'un concert de Dead Can Dance auquel j'ai assisté et au cours duquel j'ai littéralement « flashé » sur la chanteuse. Ensuite, dans une conversation avec un copain, on s'est mis à délirer sur des histoires de fantômes, de voix qui donnaient la vie aux fantômes, etc. Donc au départ de cette histoire, il y a tout bêtement un délire entre copains. Le facteur déclenchant repose sur vraiment peu de chose, finalement ! Ensuite, peu à peu, l'idée enfle, grandit, s'enrichit de notes.
Une idée sans doute naïve, mais qui mérite quand même d'être développée : est-il si facile que cela d'écrire ?
Un manuscrit, je le réimprime trois fois avant de l'envoyer chez l'éditeur. Il est bien évident que je retravaille mes textes !
C'est quoi, la nature de ce travail ? C'est un travail sur les phrases, sur la musicalité ?
C'est avant tout de la correction. Ma compagne intervient énormément dans le processus de relecture/correction. Elle a le regard extérieur dont j'ai absolument besoin. Après le premier jet, je corrige surtout les fautes de sens ou de cohérence par rapport à l'histoire. Ensuite, il y a une deuxième relecture où je vais m'attacher exclusivement au style. Là je traque toutes les répétitions, toutes les lourdeurs, les fautes de temps, etc. Il est bien évident que si je détecte une grosse faute de style lors de la première relecture, je vais la corriger illico. Si à la troisième relecture, je trouve un problème au niveau de l'histoire, je vais m'y attaquer sur le champ. Un manuscrit n'est certainement pas parfait tant qu'il n'est pas sorti, ni même parfois quand c'est le cas ! La preuve, c'est que pour les rééditions, je me remets à les retravailler.
Ce n'est tout de même pas si fréquent de voir les écrivains remanier de la sorte leurs romans lors des rééditions ! Cela dit, y a-t-il un nouveau roman en couveuse ?
J'ai actuellement six projets en chantier dont deux romans pour la jeunesse à réaliser de manière urgente. Mais j'ai surtout un gros space opera pour Millénaires. J'ai bien envie aussi d'écrire un nouveau roman de politique-fiction, plus centré cette fois-ci sur l'environnement. Pour l'instant, ce n'est qu'une envie, je n'ai pas encore une idée très précise sur l'histoire. Je travaille aussi sur Les Chroniques des Nouveaux Mondes que j'ai en tête depuis quinze ans. Il y a déjà eu sur ce thème trois romans et un recueil de nouvelles parus au Fleuve Noir. Il s'agit là d'un très gros projet multimédia sur lequel le peintre Mandy et moi-même collaborons. CD-Rom et jeu interactif via Internet retraceront l'histoire d'une humanité qui s'est développée, vers le vingt-cinquième siècle, sur une quinzaine de planètes et dont le métissage avec des races extraterrestres est pour tous un vecteur de progrès.
Pour un écrivain reconnu, établi, ce doit être terrible d'imaginer qu'un jour, peut-être, la source d'inspiration peut se tarir et qu'on a plus rien à dire désormais.
Le jour où cela tarira, je serai vieux et j'arrêterai d'écrire. J'espère seulement que j'arrêterai avant de devenir gâteux. Il existe un certain nombre d'auteurs qui ne l'ont pas fait, hélas ! Cela dit, l'angoisse de la page blanche, je la connais quand même. C'est normal. En ce moment, mon problème serait plutôt un manque de temps qu'un manque d'imagination !
Est-ce que vous n'envisagez pas de vous essayer à d'autres genres ?
Comme un polar, par exemple ? Ça fait maintenant deux ans que je dois en pondre un pour le Fleuve Noir. Pour l'instant, je n'en ai que le thème, une idée de base, à savoir des manipulations mentales sur des gamins, c'est tout ! J'aimerais aussi tenter d'écrire un roman sur la magie ou la sorcellerie aztèque. J'ai d'ailleurs commencé à monter une documentation sur le sujet. De toute façon, quel que puissent être les nouveaux genres auxquels je pourrais tenter de m'essayer, il y aura toujours un petit élément fantastique dans mes livres.
Jean-Marc Ligny, l'interview
Interview réalisée le mercredi 27 janvier 1999
à la bibliothèque Saint-Martin à Brest
par le comité de lecture de la bibliothèque
Jean-Marc LIGNY
Raconteur d'histoires
Né à Paris en 1956, Jean-Marc Ligny s'est très tôt intéressé à la science-fiction. En effet, dès l'âge de huit ans, il dévore déjà Van Vogt et Clifford Simak. Il publie sa première nouvelle en 1978 chez Denoël, dans l'anthologie Futurs au Présent. Son premier roman, Temps Blancs, paru l'année suivante, est remarqué par la critique et lui vaut un passage à l'émission littéraire de Bernard Pivot : Apostrophes.
Depuis, il n'a jamais cessé d'écrire tant pour les adultes que pour les enfants, balayant tous les genres, de la SF au fantastique, en passant par le cyberpunk, la politique-fiction, le space opera ou bien encore la Fantasy… En vingt ans de métier, cet écrivain aussi prolifique qu'atypique, aussi original qu'attachant, s'est toujours moqué des modes et préfère puiser son inspiration dans la musique (Furia!, La Mort peut danser), l'ethnologie (Yurlunggur, Yoro Si), l'ésotérisme (Les voleurs de rêves), l'Histoire (La Mort peut danser), ou l'actualité politique (AquaTM, Jihad). Non pour prédire l'avenir de l'humanité mais pour tirer une sonnette d'alarme quant à ses débordements possibles, Jean Marc Ligny souhaite produire avant tout une littérature de mise en garde. Observateur attentif et critique de notre société et de la nature humaine, il ne désire pas habituer son public à un futur de déglingue, morose, terne et sans espoir. Bien au contraire ! Aujourd'hui, il veut se montrer optimiste, inventer un avenir positif à l'humanité…
De la façon très noire et peu réjouissante dont il nous parle du Paris du futur, que ce soit dans ses romans cyberpunk (Inner City, Cyberkiller) ou son roman fantastique (Yurlunggur), personne ne s'étonnera d'apprendre qu'il a fui la capitale pour venir s'installer sur notre terre de légendes, de loin tellement plus accueillante. Cet auteur aussi discret que talentueux réside depuis près de quinze ans en bord de mer dans les Côtes d'Armor, entre Paimpol et Saint-Brieuc. Qu'il s'y sente chez lui ne peut que nous réjouir. Pourvu que le vent de la mer lui souffle encore beaucoup de ces histoires qui nous transportent… en d'autres temps, en d'autres lieux. Encore, et encore !…
La discussion engagée entre Jean-Marc Ligny et les membres du Comité a duré fort tard dans la nuit… Les questions étaient nombreuses ! Notre invité s'est montré d'une patience infinie, n'en a éludé aucune et s'est appliqué, avec clarté, simplicité et honnêteté, à répondre à notre attente et à satisfaire notre curiosité. Nous lui sommes très reconnaissants pour le temps qu'il nous a si gentiment accordé et pour la richesse de cette soirée passée en sa compagnie.
Quelles sont ou quelles ont été vos influences ?
Difficile à dire, tant elles sont multiples autant que variées. Ma principale influence, ma vraie motivation pour écrire, a été double : d'un certain côté Philip K. Dick et de l'autre Maurice Limat. Chez Philip K. Dick, j'ai trouvé un mentor, un maître à penser, la quintessence de l'écrivain, du raconteur d'histoires. Chez Maurice Limat, j'ai trouvé tout ce qu'il ne fallait jamais faire en SF. Ce sont donc ces deux pôles antithétiques qui m'ont poussé à écrire : faire mieux que les pires et prendre une leçon d'écriture chez un auteur génial. Pour moi, c'est toujours réconfortant de lire Dick. Quand je déprime, quand je n'ai plus d'inspiration, quand j'ai l'angoisse de la page blanche, je reprends un bon vieux roman de Dick et je me rends compte qu'on peut faire très simplement des choses très compliquées, qu'on peut écrire des bouquins absolument géniaux avec un vocabulaire de quinze cent mots. Et ça, ça me rassure ! C'est vers cela que j'essaie de tendre, vers toujours plus de simplicité, plus de clarté, plus de clairvoyance. Dick est pour moi un mentor plutôt qu'un maître, car je n'adhère pas totalement à sa paranoïa qui s'est changée en mysticisme sur la fin de ses jours. Cela dit, ses histoires sont admirables, tellement vivantes, proches de la vie qu'on a envie d'essayer d'en faire autant.
Si Philip K. Dick est pour vous un maître à penser, pourquoi alors citer Maurice Limat ?
Maurice Limat est l'archétype du mauvais écrivain. J'aurais pu en citer d'autres, Jimmy Guieu, par exemple. Ce sont des écrivains français qui publiaient chez Fleuve Noir et que j'ai dévorés à la pelle, au même titre que les bons auteurs, lorsque j'étais môme. Quand j'ai eu dix-huit ou dix-neuf ans, j'ai envisagé d'écrire et me suis dit : plutôt que de critiquer les autres, essaie donc toi-même et tu verras si c'est si facile ! À ce moment donné, j'ai voulu passer outre à mon jugement à l'emporte-pièce de lecteur déjà blasé en SF et explorer l'autre côté de la barrière, voir si j'étais capable de faire au moins aussi bien que les plus nuls. Je ne suis rendu compte que c'était le cas, que ce n'était pas trop difficile. Mais il me fallait d'autres modèles que Limat pour évoluer.
En ce moment, nous sommes à une période de l'histoire de la science-fiction où l'on dit que le genre, en France, renaît de ses cendres, les chiffres des ventes au niveau international en attestent, la science-fiction tout comme le fantastique sont des genres qui se portent bien, qui sortent de leurs douillets ghettos pour aller vers le grand public. Les auteurs de science-fiction semblent également perdre leur étiquette maudite. Deux petites questions s'imposent pour compléter cette rubrique un peu spécialisée. Y aurait-il des gens qui vous sembleraient pouvoir devenir des modèles parmi les plus récents écrivains ? Que pensez-vous de ce qu'on appelle la nouvelle vague française en science-fiction ?
Des auteurs français actuels qui m'influencent, je ne peux pas vraiment dire qu'il y en ait. Parce que justement on est de la même génération, qu'on a grandi ensemble, que même si j'ai commencé à écrire un petit peu avant, on perce à peu près en même temps. Je retrouve plutôt une communauté d'intérêts entre ce qu'écrivent Pierre Bordage, Serge Lehman ou moi sur une fiction plus politique, plus centrée sur les sociétés, les changements sociaux, la mondialisation, etc. Je pense surtout à la série F.A.U.S.T. ou à Wang qui sont sortis à peu près en même temps que Jihad et qui traitent plus ou moins du même sujet. D'une manière très différente évidemment parce que ce sont des auteurs très différents. Je pense qu'il y a en effet un vrai renouveau de la SF française et qu'il y a des auteurs de tout premier plan qui sortent actuellement. Heureusement, car il est temps, les anciens commencent à dater un peu. Parmi les auteurs français de la génération soixante, soixante-dix, il n'y a plus guère qu'Andrevon qui écrive encore des livres dignes de ce nom. Il est temps que sorte une relève. Et ça tombe très bien que cette relève corresponde à un nouvel engouement du public ! Actuellement, les auteurs de science-fiction française n'ont plus à avoir des complexes par rapport aux anglo-saxons. Ils sont largement à la hauteur, voire par fois au-dessus. Comparer Bordage, Lehman, Wagner, Genefort, et les autres à des auteurs anglo-saxons, c'est ridicule, nul, rédhibitoire et réducteur pour les premiers. Il n'y a pas de comparaison qui tienne : on ne va tout de même pas comparer Valerio Evangelisti à Anne McCaffrey, par exemple !
Ce qui serait un peu insultant pour Anne McCaffrey, soit dit en passant !… D'ailleurs, pour reprendre la balle au bond, on lit désormais de plus en plus, pour ne citer que deux exemples, quand on parle de Pierre Bordage, qu'il est présenté comme l'Alexandre Dumasde la science-fiction française. Quant à Serge Lehman, il en serait l'Eugène Sue. Ces deux exemples suffiront : plus n'est besoin de comparer à des auteurs étrangers. On a des références françaises et on observe aussi avec intérêt la résurgence de la dimension populaire dans les écrits. Qu'en pensez-vous ?
L'Eugène Sue serait plutôt Roland Wagner, avec ses Futurs Mystères de Paris. Mais pourquoi comparer ? Les critiques ont besoin de références, c'est sûr. Un nouvel auteur perce. Le public ne le connaît pas. Il faut vite trouver des repères, dire que ça ressemble à untel ou untel, donc que c'est bien. Pourtant, il existe des phénomènes qu'on ne pourra jamais comparer avec quiconque. Dick en est un, bien sûr. Mais Cordwainer Smith que j'aurais également pu présenter comme un de mes mentors, placé plus haut encore dans la hiérarchie que Philip K. Dick, est également du nombre. Un auteur unique dans la science-fiction et même dans la littérature mondiale, qui a introduit la poésie dans le genre. Pour moi, c'est quelqu'un qui nous vient de dix mille ans dans l'avenir et qui nous fait des petites chroniques de la vie à cette époque. Du jamais vu et jamais atteint depuis…
Lorsqu'on écrit soi-même, est-il encore possible de lire et de se laisser porter par un livre comme le commun des lecteurs ? Peut-on garder la candeur du néophyte ou bien est-on systématiquement tenté de démonter l'œuvre, de rechercher les ressorts utilisés ?
Évidemment, je lis maintenant avec mes yeux de professionnel. Je vois effectivement les ficelles, les faiblesses, les répétitions, les lourdeurs de style, etc. Mais je vois aussi les coups de génie, les idées lumineuses que le lecteur lambda ne relèverait peut-être pas forcément. Il est certain que je ne peux plus lire innocemment, me laisser porter par l'histoire avec les yeux émerveillés d'un adolescent qui découvre. Il n'empêche que ce n'est pas non plus un prix à payer. J'y trouve aussi un certain avantage : je vais peut-être pouvoir apprécier un auteur pour d'autres raisons que le lecteur lambda, parce que je vais peut-être découvrir la subtilité de la construction, de l'histoire, ou apprécier la force des personnages. Parfois, tout de même, il m'advient d'oublier que je suis auteur, de me laisser prendre au premier degré par une histoire. Ça m'est encore arrivé récemment avec une nouvelle de Tanith Lee que j'ai lue en anglais dans le texte. Malgré mon anglais assez primitif, la magie de l'histoire passait totalement et j'étais heureux de retrouver cet émerveillement qui devient effectivement rare. C'est rafraîchissant et ça prouve que je n'ai pas encore totalement perdu mon âme d'enfant. D'ailleurs si par mal heur je venais à la perdre, je ne pourrais plus écrire pour les jeunes !
Quand vous écrivez, pouvez-vous retrouver cette fraîcheur, cette candeur, vous laisser aller à lâcher la bride ? Ou alors est-ce que cela n'est que mécanique ou technique ?
Bien sûr que non ! Surtout lorsque j'écris pour les jeunes. Plutôt que de me plonger dans la peau de mes personnages, je me perche sur leur épaule ou m'immisce quelque part dans un coin de leur tête. Lorsqu'il s'agit d'un roman pour des ados entre douze et quatorze ans, j'essaie de me remettre dans ma peau, quand j'avais moi aussi douze ou quatorze ans. Je me remémore et j'essaie de retrouver mon état d'esprit de l'époque, comment je réfléchissais. Pas de retrouver les tics de langage ou les modes. Je n'essaie pas de rappeler mon enfance parce qu'elle était bien différente de celle des mômes d'aujourd'hui, les centres d'intérêt ne sont plus du tout les mêmes, la manière de s'exprimer n'a plus rien à voir avec la nôtre. Les générations changent et les modes aussi. Mais il n'empêche qu'il y a une façon typique de voir et de penser le monde quand on a douze ou quatorze ans que j'essaie de retrouver ou du moins de ne pas perdre.
Mais alors quel est l'état d'esprit dans lequel vous vous trouvez lorsque vous écrivez à destination d'un public adulte ?
Eh bien moi, je m'efface derrière mes personnages, donc tout dépend du roman que j'écris et des personnages qui l'animent. Ça va être très différent si j'écris Jihad ou Succubes ou Cyberkiller. Je ne suis absolument pas dans le même état d'esprit pour chacun de ces trois livres. Etant donné le thème, les personnages qui vont animer l'histoire et l'histoire qui nourrit le thème, il y a une espèce de synergie, de phénomène de feedback entre moi et l'histoire que je vois s'écrire, se dérouler à l'écran. Quand tout se passe bien ! Il y a des tas de moments où c'est plus galère, où c'est plus difficile, où justement je n'arrive pas à cette alchimie de me fondre dans les personnages et de les laisser créer l'histoire. Tout en demeurant quand même le « deus ex machina » puisque je contrôle le sujet. Il y a un déroulement, une fin. Et même si en général les personnages me font changer mon plan, cela reste quand même dans une certaine ligne directrice dont je ne veux pas trop m'éloigner. Pour Jihad, je connaissais le sort de Jamal et de Fatima dès le début du livre. Il fallait que je les mène jusqu'au bout. Par contre, d'autres personnages secondaires, comme Sonia, par exemple, étaient quasiment inexistants dans mon plan de départ. Elle est apparue dans le "bouiboui" de Barbès, s'est imposée comme un des personnages principaux et a squatté mon bouquin. Son rôle, au départ, n'était que d'héberger Jamal pour une nuit afin de lui éviter de se faire arrêter après qu'on l'eut dénoncé. Mais quand elle m'est ap parue dans toute sa complexité, je me suis rendu compte que Jamal allait tomber amoureux d'elle, bien qu'il essaie de s'en défendre. Au début, d'ailleurs, il est particulièrement méfiant. Pour lui qui a été élevé et qui a grandi dans l'islam, elle n'est qu'une pute comme les autres, alors qu'en réalité, elle est une exilée, tout comme lui. C'est cela qui les rapproche.
Connaissez-vous les lieux dans lesquels vous plantez vos histoires ? Ou bien laissez-vous libre cours à votre imaginaire ?
Cela dépend. Pour Jihad, je ne me suis presque pas déplacé. J'ai beaucoup travaillé à partir de documentation. Mais surtout j'ai fait lire mon texte à plusieurs personnes dont des Maghrébins, parce que j'avais à cœur l'authenticité des mœurs et du langage. Ce qui les a le plus choqué, c'est le rapport presque incestueux qui relie Jamal à Fatima. Aller plus loin dans la relation aurait ôté toute crédibilité au livre. D'autre part, il arrive aussi parfois dans un livre qu'il y ait des éléments bizarres, comme ce rêve que font au même moment Jamal et sa sœur, qui échappent à l'auteur, qu'il ne peut expliquer et sur lesquels on peut s'attarder longtemps à des fins d'analyse.
Quand on analyse un texte, ne croyez-vous pas qu'on arrive à en déduire des choses ou des idées que l'auteur ne pensait pas y mettre ?
Si, bien sûr ! C'est le cas pour certains de mes livres également. Mais il ne faut pas oublier que l'inconscient travaille lui aussi. Il faut laisser travailler cette part d'inconscient dans le processus de création littéraire. Si on l'étouffe, on va faire un bouquin qui techniquement sera peut-être efficace, mais qui en fait sera creux, parce que privé d'âme. Lorsque j'écris, je suis attentif à deux préoccupations pour moi principales : la cohérence de l'histoire et la cohérence des personnages, mais encore à la cohérence de ma documentation et à la pertinence de mon propos. Tout ce qui peut se passer à côté, est relégué au second plan. Alors parfois, en relisant, je fais des découvertes ou bien ce sont les lecteurs qui en font que je n'avais pas détectées d'emblée.
Maintenant, pourriez-vous nous donner votre définition de la science-fiction ?
Des définitions de la science-fiction, il y en a eu tellement ! Chaque auteur ou presque a la sienne. La science-fiction est pour moi une façon d'explorer le réel, la réalité du présent. La science-fiction est une littérature d'aujourd'hui, de maintenant. C'est d'ailleurs pour moi la seule littérature capable de décrire le monde actuel. Dans 95 % des cas, un auteur de science-fiction place son action dans l'avenir. Avoir une vision du futur qui tienne la rampe, qui soit à peu près crédible et à laquelle le lecteur puisse adhérer, cela implique que l'auteur traque les germes de ce futur dans le présent, donc qu'il ait une vision globale, si possible, de la société, de la réalité, du monde quotidien. Un auteur de science-fiction est obligé à l'heure actuelle d'avoir une analyse du monde présent. Il ne peut pas s'en passer, il ne peut plus raconter même une histoire galactique basique genre Star Wars, sans une interprétation de la colonisation ou de la guerre du Viet Nam.
Cela veut-il dire aussi que l'auteur doit s'engager ?
L'auteur est forcément engagé, même l'auteur de SF le plus basique, au sens le plus large du terme. Il est engagé dans le monde, en tout cas. On ne peut pas s'isoler sur son île déserte et écrire des bouquins de science-fiction qui soient pertinents par rapport à notre monde actuel. Je n'ai pas l'impression. La SF suppose un regard à la fois aigu et décalé sur le présent.
Le genre policier va lui aussi dans cette direction-là…
Absolument ! Sauf que le polar va peut-être voir plutôt par le petit bout de la lorgnette.
Si pour vous, la vraie science-fiction est celle qui fait son terreau du temps présent, à la fois parce qu'il y a cet ancrage dans le moment présent qui est le début de l'avenir et peut-être aussi parce que le temps n'est pas linéaire pour certains peuples ou éventuellement certains auteurs, quelle est alors la différence entre la science-fiction et le fantastique où tout d'un coup l'on décroche de la réalité du présent ?
La frontière est très floue entre les deux genres. Un film comme Alien par exemple, est-ce un film de science-fiction ou un film fantastique ? En fait, il s'agit d'un film de SF qui utilise toutes les ficelles du fantastique… Il en est de même pour les romans. Pour faire bref, je dirai que la SF va s'intéresser davantage au système, aux sociétés, et le fantastique plus à l'individu, à l'homme. En général, un roman fantastique va décrire une faille, une fêlure dans la perception de l'homme, dans sa vision du réel. Souvent, du moins en ai-je l'impression, les romans fantastiques sont centrés autour de personnages qui tout d'un coup disjonctent par rapport à la normalité, c'est-à-dire tout d'un coup font se trouver confrontés à une faille de cette réalité qui peut apparaître sous un tas de formes (la maison hantée, les revenants, les monstres, les serial killers, les failles de l'esprit, la folie). S'il y a une explication à la divergence (dans le fantastique, il n'y en a pas toujours), on la trouve dans des vieux mythes, des vieux démons qu'on réveille, des talismans enfouis dans les sables et qu'on va déterrer… C'est la ficelle de la plupart des histoires fantastiques. Pour en revenir à Alien, l'origine du monstre est claire et déterminée : des œufs découverts dans l'espace et ramenés à bord d'un vaisseau à bord duquel est développé ensuite le thème du huis clos typique du fantastique. Dans les films fantastiques, genre Poltergeist, Freddy, Halloween et autres, le monstre, soit on n'explique pas d'où il vient, soit il ne vient de nulle part, soit c'est un fou, soit il y a une connotation antique : on a réveillé la colère d'un ancien dieu, on a transgressé un vieux tabou.
C'est le cas aussi de votre roman La mort peut danser…
Effectivement. Le livre n'existe que dans la mesure où j'y ai fait revivre de vieilles mythologies celtiques. Pour en revenir à ce qui fait la différence entre la SF et le fantastique, je dirai encore que pour moi, le premier roman de science-fiction date du siècle dernier. Il s'agit du Frankenstein de Mary Shelley. Le premier roman fantastique du siècle dernier a été Dracula de Bram Stocker. La différence entre les deux ne paraît peut-être pas évidente à première vue. Il y a un monstre dans les deux histoires. Mais dans Frankenstein, il est fabriqué, grâce au concours de la magie que l'on prêtait à l'époque à l'électricité. C'est la première expérience de clonage ou du moins de création d'un cyborg, un être mi-homme, mi-machine. C'est vrai que l'histoire est inspirée des légendes juives du Golem, mais son traitement est purement science-fictif et repose sur le thème du savant fou dont la création lui échappe. Dracula, quant à lui, est un vampire issu des âges les plus reculés et dont l'état de vampire a une justification historique.
Puisqu'on en est à se situer entre les différents genres des littératures de l'imaginaire, où classez-vous la Fantasy ?
Je lis très peu de Fantasy, donc je ne suis pas vraiment spécialiste du sujet. Pour moi, il s'agit d'un avatar récent du mariage entre roman historique et roman fantastique, et en même temps, une des littératures parmi les plus anciennes qui existent. C'est vrai qu'il y a une énorme production dans le genre et qu'il existe des canons. Les œuvres majeures sont peut-être un peu noyées dans la masse de la production de moindre qualité. Je peux néanmoins en citer deux : Elric le Nécromancien de Moorcock qui est un pur bijou d'écriture baroque et Le cycle des Epées de Fritz Leiber qui est un monument d'humour et de fantaisie. La Fantasy, pour moi, est une littérature directement inspirée de l'Odyssée d'Homère, des romans du cycle arthurien, des romans de chevalerie et des romans courtois du Moyen-Âge et de tous les grands romans de quête, d'aventure et d'initiation.
Ne serait-ce pas là une littérature typiquement masculine ?
Justement non. Neuf auteurs américains de Fantasy sur dix sont des femmes. Sept lecteurs français de Fantasy sur dix sont aussi des femmes. Ce sont encore elles qui raflent tous les prix littéraires. La Fantasy est le refuge du récit d'initiation planté dans un monde totalement inventé et qui scrute l'intimité de l'individu, contrairement à la science-fiction technologique qui parlerait plutôt de société.
Le monde de la Fantasy est un monde qui ne peut pas avoir d'équivalent, parce que c'est un monde inventé…
Effectivement, il n'a aucun rapport avec notre monde réel, ou alors extrêmement lointain et évacué dans les premières pages, comme au début du Cycle d'Elric où Moorcock nous apprend que l'histoire se passe sur notre terre, mais dix mille ans après la fin de l'histoire ou dix mille ans avant que les premières histoires fussent écrites. Ça peut donc se passer dans un très lointain passé ou un très lointain futur, et en fait cela ne présente aucune importance.
Un livre comme Yurlunggur, dans quel genre le classez-vous ?
Je dirai qu'il s'agit d'un roman de Fantasy traité sur le mode du fantastique urbain !… Mais vous savez, le seul intérêt des étiquettes, c'est qu'on peut les transgresser. À ce titre-là, Yurlunggur est totalement inclassable. Puisqu'effectivement c'est une histoire de quête mystique, d'initiation, de rédemption, etc., on pourrait croire qu'il s'agit d'un thème purement de Fantasy. Mais l'environnement est totalement urbain et de plus, on peut se demander si toute cette histoire ne se déroulerait pas dans la tête malade de ce pauvre Fox qui est quand même bien déjanté par la cocaïne. Donc, il y a plusieurs niveaux de lecture et l'on ne sait jamais si tout ce qui arrive est vrai ou pas, si Fox délire ou non.
Ce doit être fabuleux de se sentir le maître de la destinée de ses personnages, même si parfois certains s'imposent à vous au point de faire dévier du plan que vous aviez élaboré au départ.
C'est vrai qu'il y a au départ une synergie entre mes personnages et moi. Je me prends d'amitié très vite pour eux. Mes héroïnes ? Je pense que je dois en tomber un peu amoureux. C'est sans doute la raison pour laquelle dans mes romans, les femmes sont souvent plus fortes que les hommes et leur sont un peu supérieures. Si j'étais homosexuel, peut-être que mes héros seraient plus forts. Je suis cependant résolument hétéro, alors…
Si ce sont vos personnages qui dirigent, alors ne seriez-vous pas tout bonnement un imposteur ?
Non. Comme ils ne peuvent pas vraiment sortir du papier, je suis leur représentant ! (Rires). Il y a cependant quelque part un processus de création auquel je ne suis pas totalement étranger, tout de même ! Je ne suis pas complètement spectateur de mes livres et j'ai l'impression de raconter ce que j'ai envie de raconter et de la façon dont j'ai envie de le raconter. Quand je disais que je laissais mes personnages agir à leur guise, cela veut dire que je ne les fiche pas au départ. Ils sont totalement ouverts. Je fais connaissance avec eux à peu près en même temps que le lecteur, ce qui m'oblige très souvent à revenir sur le début de l'intrigue pour l'harmoniser avec la fin de l'histoire ou pour rajouter des éléments manquants, etc. Donc la psychologie de mes personnages se révèle au fur et à mesure que j'écris et c'est pour cette raison que certains vont prendre beaucoup plus d'importance que je n'en avais prévu au départ. Dans Inner City, par exemple, au départ, je n'avais prévu qu'une quinzaine de lignes pour les deux mamies. Elles étaient là uniquement pour justifier le voyage de Kris. A la fin, elle va chez sa grand-mère. Avant, elle l'appelle plusieurs fois. Je me suis dit : « il faut qu'on la voie dans le livre » ; c'est ce qui justifiait les quinze lignes dont je parle plus haut. J'ai donc présenté la grand-mère. Sa copine est arrivée là-dessus et puis ce duo m'a foutu une de ces zones !… Il s'est imposé avec force sur trois chapitres. Il y a eu aussi une nouvelle apocryphe qui est parue dans la revue Ozone. Elles réapparaissent dans deux romans pour la jeunesse et dans le troisième, elles jouent un rôle central. Bref, je n'arrive plus à me défaire de ces deux mamies ! Et tous ces textes s'écrivent du fil de la plume, les dialogues s'enchaînent naturellement et le comportement des deux mamies coule de source : ce sont deux vieilles copines qui ont chacune leurs extravagances.
Lorsque dans nos critiques, nous affirmons que les personnages sont vivants, c'est cela même que nous voulons dire. Ils ont leur vie, donc c'est la logique propre de cette vie qui s'impose finalement à l'auteur. C'est en cela qu'ils existent. Sans cela ils ne sont pas grand-chose.
C'est cela ! Même si parfois je ne les décris pas complètement, mes personnages ont un passé, ils ont eu une vie avant, ils ont encore une vie après. Je ne fais que raconter une tranche de vie, en réalité. J'essaie de leur imaginer, quand je commence à bien les connaître, un passé, l'évolution de leur vie après la fin du livre, donc à les doter d'une épaisseur psychologique plus importante que celle qui est nécessaire pour le livre. Finalement, j'essaie de m'inspirer un peu de la vie quotidienne. Quand on rencontre quelqu'un, on a une vision de lui au départ qui ne correspond pas forcément à la réalité ou, même si elle correspond à la réalité, ce n'est qu'à une petite parcelle qui va s'enrichir après, au fur et à mesure qu'on connaît mieux la personne, qu'on découvre peu à peu son passé… Je rencontre mes personnages dans mes livres comme je peux rencontrer les gens dans la vie.
Comment créez-vous vos personnages ? Sont-ils purement imaginés ou bien alors vous servez-vous des gens que vous rencontrez ou de ceux qui vous sollicitent ?
Des gens qui vous harcèlent pour apparaître dans le prochain roman, cela ne m'est jamais arrivé. Parfois il y a des personnes qui croient se retrouver dans tel ou tel personnage. J'en suis, en général, le premier surpris. Je ne pense jamais à quelqu'un de précis quand je crée un personnage. J'ai été étonné, dans Jihad, avec le personnage de Max Tannart. Tout récemment quelqu'un m'a dit : « pour ce personnage, tu t'es inspiré de Bob Denart ? » Ça a fait tilt dans mon esprit. Bien sûr, j'ai dû m'inspirer de lui, mais de manière tout à fait involontaire, sinon j'aurais cherché à me documenter davantage sur le sujet et j'aurais poussé plus loin dans le mimétisme. En fait, c'est un processus inconscient, j'ai recherché un mercenaire typique. Son nom s'est imposé comme ça, tout seul, Max Tannart. Mes personnages sont un mélange à la fois de références conscientes, inconscientes, de gens qui m'ont traversé l'esprit. Mais je ne pense jamais à quelqu'un de précis. Ils vont avoir un peu des traits des uns, de la personnalité des autres, du passé d'un troisième. La création des noms est cependant un processus très mystérieux. Dans certains cas de figure, ils s'imposent comme évidents, Djamal, Fatima, Max Tannart, Péritelle et Jack, par exemple. Pour d'autres, c'est beaucoup plus difficile. Je ne sais pas pourquoi mais je vais devoir me creuser et me recreuser la tête avant de les trouver.
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